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A
n e c d o t e s |
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Anecdotes avec Ginette
Anecdotes avec Jeannette «
Il
fait beau en Bretagne ! » Rencontre
de jeunes dans la fraîche campagne
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o O o - UNE
SALVE D'AGRAFES Lors
de cette première virée en Normandie, et en sortant
de Neauphle-le-Vieux, à l'aller, je ressens quelque chose
de bizarre au niveau de mon sac à dos : je m'arrête
et me rends compte qu'il est en train de se déchirer linéairement
à sa base, créant une ouverture verticale, et dans
ce sac j'ai bien sûr des affaires dont certaines peuvent
tomber par le trou, notamment l'appareil photo numérique
! Il faut donc trouver une solution, alors je reviens sur mes pas
de quelques hectomètres pour rejoindre la place centrale
de Neauphle-le-Vieux. Deux
semaines après Beauvais, un mois après Honfleur, Ginette
et moi nous offrons une spectaculaire gamelle en nous rendant au
lycée, un vendredi matin. La scène a lieu dans une
grande descente, en haut de laquelle se trouvent deux feux. Ils
sont verts quand nous arrivons, nous nous engageons alors dans cette
grande descente à vive allure, un husky déambule sur
le trottoir, il traverse brusquement la route, le choc est inévitable. LE TENDEUR
QUI SAUVE
En
revenant de Château-Thierry et de Montmirail, Ginette et moi
traversons la commune de La Houssaye-en-Brie, et dans une rue du
village, je suis brusquement surpris par un horrible bruit métallique.
Je m'arrête tout de suite, pour constater que l'attache arrière
du pot d'échappement (près du cale-pied gauche) a
tout simplement cédé. Le pot est donc tombé
sur la route, tout en restant accroché au RCX grâce
à ses ressorts à l'avant. |
SOUVENIR
TÉLÉVISÉ
(5 août 2007, pendant le voyage en Bourgogne)
Au
cours de mon premier voyage avec Jeannette, en Bourgogne, je m'arrête
pour prendre une photo sur un pont enjambant le canal du Centre,
quelques kilomètres avant d'arriver à Montceau-les-Mines.
Je n'ai pas enlevé mon casque. Et voilà que j'entends
derrière moi un moteur de voiture qui ralentit jusqu'à
l'arrêt et soudain un coup de klaxon ! Je me retourne brusquement
et vois un jeune homme au volant qui, visiblement interpellé
par ma plaque « JEANNETTE », me lance en souriant :
«
C'est
vous qui étiez passé à la télé
parce qu'on vous avez piqué vot' mobylette ? »
Je
hoche ma tête casquée : « Oui oui ! ».
Il
se marre encore et, avant de repartir, me souhaite de bonnes vacances
!
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Retour
à la narration (Pouilly-en-Auxois - Paray-le-Monial, Bourgogne
2007)
«
IL
FAIT BEAU EN BRETAGNE !
»
(15 février 2008, pendant
le retour de Bretagne)
En
route vers Longpont depuis Brest et progressant dans un froid mémorable,
je marque la première pause de la journée à
Carhaix-Plouguer (Finistère) vers 8 heures du matin, au bord
de la route départementale, sur une portion de quelques mètres
de bitume qui ressemble vaguement à la sortie d'un ensemble
de petits immeubles, peut-être d'ordre résidentiel
ou professionnel.
Me raccrochant
au souvenir des échauffements que nous faisions
au début de chaque cours de judo il y a une dizaine d'années,
je tente de me réchauffer vaille que vaille dans un ballet
de mouvements - pas chassés, « talons-fesses » et
« genoux- poitrine », petits ronds avec les genoux, mouvements
amples du buste, balancement des bras - aussi rigoureux que potentiellement
sujet à la moquerie !
Puis
je regarde la carte. C'est à ce moment qu'un automobiliste
quitte la départementale pour rejoindre les petits immeubles.
Gentiment, il s'arrête à ma hauteur :
«
Vous
êtes perdu ?
- Non non, merci,
il n'y a pas de problème.
-
Vous êtes en balade ?
- Oui
et non... En fait je viens de finir mes études à Brest
et je rentre chez moi à Paris.
Visage
stupéfait de mon interlocuteur, qui me demande si c'est bien
avec cette petite « mob » que je compte m'y prendre. Quelques
phrases échangées plus loin, nous en venons à
parler de la météo. La bouche engourdie par le froid,
je lui concède :
- Tout
se passe bien, mais bon, il ne fait pas chaud.
-
Ah oui, surtout avec ce brouillard !
Effectivement,
un épais brouillard nous enveloppe, Jeannette et moi, depuis
que nous nous sommes « hissés » sur les hauteurs
des Monts d'Arrée. Essayant de raisonner avec une approche
géographique, comme les études me l'ont appris, je
tente d'analyser le phénomène et de prévoir
la suite de cette façon : d'une part, le brouillard étant
lié à l'humidité de l'air, il n'est pas surprenant
de le rencontrer en Bretagne où la mer n'est jamais trop
loin ; d'autre part, le brouillard souvent matinal se lève
généralement au bout de quelques heures, or, à
mon rythme, je quitterai justement la Bretagne vers la mi-journée.
En m'appuyant sur ces deux constats mais sans les développer
à l'oral à ce sympathique Breton qui croise ma route,
je lui lance un peu maladroitement :
-
Oui, espérons que ça s'arrangera quand je sortirai
de Bretagne.
- Pourquoi ? Il fait
beau en Bretagne ! » me rétorque-t-il sans attendre, comme
offensé par un affront que je n'imaginais pas sous-entendre.
Heureusement,
il ne m'en a pas tenu rigueur, et nous avons poursuivi notre conservation
d'une façon très cordiale.
Mais
me croirez-vous si je vous dis que, précisément, le
brouillard épais et la grise chape nuageuse ne nous ont pas
quittés avant que nous atteignions le Mont-Saint-Michel,
et que par conséquent, c'est bel et bien au moment d'entrer
en Normandie que le tout premier rayon de soleil de la journée
est venu caresser mon manteau et le carénage de Jeannette,
projetant enfin notre ombre sur la chaussée !
Cependant,
pour que je ne me targue pas trop longtemps d'avoir vu juste dans
mes prévisions, les nuages n'ont pas tardé à
revenir... pour ne plus nous quitter cette fois !
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Retour
à la narration (Brest - Longpont, 2008)
RENCONTRE
DE JEUNES DANS LA FRAÎCHE CAMPAGNE
(15 février 2008, pendant
le retour de Bretagne)
Le
même jour mais quatorze heures plus tard, c'est cette fois
la dernière pause de la journée que Jeannette et moi
effectuons. Nous sommes à Jaudrais, un tout petit village
situé entre Senonches et Châteauneuf-en-Thymerais,
dans l'Eure-et-Loir, et encore à 100 km de Longpont. Mais
la mob roule très bien, nous avons fini de traverser la Basse-Normandie
et toucherons bientôt l'Île-de-France, alors même
si le froid est toujours aussi pénétrant, le moral
est bon !
Je m'arrête donc
au centre de Jaudrais, enfin... si l'on peut parler de centre dans
la mesure où les panneaux marquant l'entrée et la
sortie du bourg ne sont distants que de quelques hectomètres.
À la lueur orangée d'un lampadaire, je réitère
comme à chaque pause mes exercices physiques pour dégourdir
tous mes membres qui commencent à ressentir la distance.
Une fois légèrement réchauffé, je saisis
dans mon sac quelques biscuits, une briquette de jus de fruits et
des carrés de chocolat.
C'est
à ce moment-là que, d'une maison toute proche, sortent
trois jeunes gens de 18-20 ans avec un ballon de foot. Pour eux,
le dîner doit être fini, alors ils viennent faire quelques
passes dans la rue, et puisque les lampadaires ne sont pas légion
à Jaudrais, ils s'approchent de moi, remarquent ma présence
; la discussion va s'installer. D'un côté, cela me
gêne un peu car j'aime bien être seul pendant les pauses
: elles sont en effet un moment privilégié pour se
reposer, calmer un instant le rythme soutenu du voyage, remettre
quelques idées en place, dépoussiérer quelques
recoins de son esprit, méditer sur l'itinéraire, sur
ce qui a déjà été accompli et sur ce
qui reste à l'être. Voire, se parler à soi-même
à haute voix pour s'encourager. Mais avec trois jeunes qui
viennent jouer au ballon sous votre nez, tous ces privilèges
se retrouvent compromis ou tout du moins perturbés. Néanmoins,
nos échanges seront bien agréables et enrichissants
des deux côtés.
Bien
entendu, ils se sont demandé comment un jeune comme eux,
un inconnu à cyclomoteur, pouvait se trouver à 22
heures dans un village comme le leur, qu'ils ont eux-mêmes
qualifié de « trou paumé » et où probablement
tous les jeunes se connaissaient. Ils se sont demandé d'où
je venais et où j'allais, et si ce matin, j'ai pu surprendre
le Breton de Carhaix-Plouguer en lui annonçant que j'allais
à Paris, ce soir, à l'inverse, c'est le fait que je
vienne de Brest qui étonne ces trois jeunes. Ils me posent
quelques questions sur mon trajet, le type de routes que j'emprunte,
la durée de mes pauses, l'heure à laquelle je compte
arriver à destination, et puis aussi sur mes motivations
pour réaliser une étape comme celle-ci en mob et par
cette température. N'aurais-je pas plutôt le permis
et une voiture pour faire ça ? s'interrogent-ils. J'en ai
eu une, mais je l'ai vendue pour ne faire plus que de la mob !
Entre
deux réponses à leurs questions, que mes lèvres
bien rafraîchies formulent tant bien que mal, je grignote
en tremblotant de froid. Ils m'observent, pensant sûrement
que l'épreuve est pour moi un calvaire, mais il n'en est
rien. Je suis bien. Je fais ce qui me plaît, ce que j'aime
faire, et ralentis d'ailleurs tous mes gestes pour mieux apprécier
tout cela, toute cette ambiance que je sais éphémère.
À
un moment, le portable de l'un d'eux sonne. C'est un de leurs potes.
Celui qui a décroché devant moi lui lance alors :
« On est dans la rue, viens nous retrouver, en plus y a un mec
qui a trop la foi, il vient de Brest avec sa mob ! ». Là
encore, j'aurais préféré qu'il ne dise rien
car je sens que mon désir de solitude et de repos va encore
être contrarié. Cet ami en question nous rejoint bien
vite puisqu'il n'habitait en réalité qu'à 150
mètres de là, ses potes lui restituent alors ce que
je leur ai raconté.
Quelques
minutes plus tard, il est temps pour moi de m'élancer de
nouveau sur les routes, trouvant absolument délicieux de
n'être plus qu'à 100 km de la maison... et que ce nombre
s'apprête donc à ne plus compter que deux chiffres
! En repartant, je m'aperçois que cette petite demi-heure
de pause a suffi à ce qu'une pellicule de givre vienne recouvrir
mes deux rétroviseurs et la visière de mon casque
! Il faut frotter un peu.
Je salue
enfin mes amis de la main et ils me regardent partir.
Bientôt,
la veilleuse rouge à l'arrière de Jeannette se retrouvera
seule à percer doucement l'obscurité.
Au-delà
du dernier des quelques lampadaires de Jaudrais...
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Retour
à la narration (Brest - Longpont, 2008)
AROUND
THE WORLD
(18 juillet 2009, pendant
le voyage en Cornouailles)
Tandis
que mon ami Jean-Pierre et moi-même progressons lentement
mais sûrement vers Dieppe, chacun aux commandes de sa monture,
et alors que nous approchons de notre destination en traversant
le Pays de Bray, mon oeil est soudainement attiré par quelque chose se
déplaçant au bord de la route mais de l'autre côté
de la chaussée et dans le même sens que nous. Si j'écris
« quelque chose », c'est qu'au premier regard il n'est pas
évident de deviner qu'il s'agit bien de quelqu'un. Quelqu'un
qui marche.
Parce que nous «
filons » à 45 km/h, l'épisode ne va durer que
quelques secondes, juste le temps que nous dépassions ce
personnage puis qu'il s'éloigne dans notre dos jusqu'à
ne plus représenter qu'un tout petit point à peine
mouvant. Mais dans ce bref intervalle, durant lequel je me retourne
plusieurs fois pour contempler la scène et m'assurer que
je ne rêve pas, je parviens tout de même à imprimer
dans mon esprit une photographie relativement précise de
la situation.
Il s'agit d'un homme
assez âgé, un peu corpulent, et présentant l'allure
type de l'aventurier d'un roman, presque celle d'un mendiant. Il ressemblerait à Tom Hanks sur son
île déserte dans le film Seul au monde, ou bien
à Bernard Moitessier durant le croustillant épilogue
de sa Longue Route en 1968.
Il
pousse devant lui une sorte de chariot qui, du peu que j'en vois
à cause donc de ma vitesse, paraît assez délabré.
Une sorte de compagnon de fortune, ou peut-être d'infortune...
Je ne saurais en dire davantage à ce sujet car mon attention
s'est davantage portée sur l'homme et sa figure.
C'est
avec beaucoup d'entrain, une régularité
et une puissance remarquables qu'il met un pas devant l'autre, comme une machine à marcher.
De son visage émane un émouvant mélange de
fatigue et de détermination sans faille. Il semble poursuivre
un rêve en déployant une force folle, intérieure
aussi bien que physique, une force que n'importe quelle pluie ne
saurait oxyder et que sa sueur ne saurait dissoudre.
De
chaque côté de son chariot, près de chaque poignée
je crois, est fixé un bâton d'un mètre à
un mètre cinquante dressé vers le ciel. Et entre ces
deux mâts, qui dominent donc de quelques dizaines de centimètres
la chevelure ébouriffée de notre héros, entre
ces deux traits qui encadrent son visage éprouvé mais
profondément vivant, une banderole artisanale est tendue.
J'ai tout juste le temps d'y déchiffrer : Walking aroung
the world.
Je pense évidemment
à mon ami Jean
Béliveau,
un Québécois parti marcher autour du monde depuis
août 2000 et dont le retour à Montréal est prévu
en octobre 2011. Si Jean voyage avec un budget limité,
le bon déroulement de son incroyable marche reposant beaucoup
sur l'hospitalité de personnes rencontrées au fil
du chemin, ce bonhomme que j'aperçois aujourd'hui me donne
l'impression de sillonner la planète dans un dépouillement
plus grand encore. Et peut-être bien dans l'anonymat : on
douterait fort, en le voyant, qu'un site Internet rende compte de
sa progression de pays en pays, mais sait-on jamais ?
La
vitesse de Jeannette ne m'aura pas permis de recueillir davantage
d'éléments. Comme quoi, un cyclomoteur peut être
un bolide bien trop rapide dans certains cas. Néanmoins c'est
une décharge un peu facile de ma responsabilité :
j'aurais pu m'arrêter ! Si je n'avais pas été
pressé par la montre ce jour-là, j'aurais beaucoup
aimé freiner brusquement, oui, et m'en aller poser quelques
questions à cet homme énigmatique.
Cette
vision restera donc une émotion pure, juste comme ça, dans
l'instant.
-->
Retour
à la narration (Longpont-sur-Orge - Auppegard, Cornouailles
2009)
MEMORIES
OF FRANCE
(20 juillet 2009, pendant
le voyage en Cornouailles)
À
la mi-parcours de cette longue étape à travers une
bonne partie de l'Angleterre entre Portsmouth et Redruth, et alors
que mon estomac réclame son noble carburant, je m'arrête
au bord de la route pour me rassasier. Au gré des miles
qui se succèdent, on aperçoit régulièrement
des camionnettes stationnées là, sur de petits parkings
improvisés, et leurs panneaux mentionnant diverses provisions
à manger sur le pouce. Elles
ne sont pas aussi bien achalandées que
les fourgons des pizzaiolos itinérants mais tout de même suffisamment pour
vous mettre l'eau à la bouche, surtout au cours d'un long
trajet. Et elles sont donc situées au beau milieu
de nulle part ! En en voyant une première, vous vous dites
: « Tiens c'est original. » À la troisième,
vous pensez
: « Tiens c'est commun. » À la cinquième
: « Tiens je m'y arrêterais bien ! »
Je
porte donc mon choix sur l'une d'elles, par hasard. Il s'agit en
réalité d'une caravane-snack attachée derrière
une voiture. On peut y lire : chips, jacket potatoes,
fresh filled rolls, burgers, hot dogs, hot & cold drinks.
J'y achèterai un burger et une boisson mais cela n'a
guère d'importance, bien moins que la gentillesse de ce brave
homme qui tient cette mini-boutique. Je suis le seul client, il
lisait un journal avant que je n'arrive. Ne serait-ce que pour prendre
le pouls de mon anglais après ne pas l'avoir pratiqué
pendant de nombreux mois, j'ai plaisir à engager la conversation
avec lui pour parler de la pluie et du beau temps. Malgré
son accent un peu marqué, je parviens facilement à
le comprendre et à communiquer avec lui. Interpellé
par mon moyen de locomotion peu banal, il me questionne à
son sujet, me demande d'où je viens et où je vais,
mes réponses le surprennent : « From Portsmouth
? To Redruth ? Really ? »
Lorsqu'il
comprend ensuite que je suis originaire de la région parisienne,
son visage s'illumine d'une façon toute particulière,
comme celui de quelqu'un qui sent refleurir en lui d'agréables
souvenirs. C'est ainsi qu'il m'apprend que c'est à Paris
que son épouse et lui ont effectué leur voyage de
noces il y a un petit paquet d'années de cela. Il commence
alors à me raconter, l'oeil pétillant et le sourire
aux lèvres, le plaisir qu'ils ont eu à visiter
la capitale française, les balades touristiques à
pied ou en bus, les bateaux-mouches, les monuments, et puis la ville
simplement pour ce qu'elle est. S'ils ont vécu ces moments
avec la même sensibilité que celle avec laquelle il
m'en reparle, alors ce devait être avec les yeux de grands
enfants émerveillés !
Même
si c'était bien sûr involontaire de ma part, j'ai presque
l'impression qu'il m'est reconnaissant d'avoir ainsi fait ressurgir
en lui l'atmosphère de Paris, de lui avoir permis de retrouver
au fond de son coeur quelques images extraordinaires, venues colorer
ce lundi plus ordinaire. Peut-être a-t-il
le sentiment que ces pensées se rapportent à une
époque assez lointaine. Néanmoins, en voyant un jeune homme
venu de Paris sur un engin aussi rudimentaire jusqu'à cette
étendue de gravillons où trône sa petite caravane-snack,
peut-être sent-il aussi que la Tour Eiffel n'est pas
aussi lointaine que cela...
Qu'elle
s'aventure à se rapprocher un peu de lui.
Qu'elle
l'invite à se rapprocher un peu d'elle.
-->
Retour
à la narration (Portsmouth - Redruth, Cornouailles 2009)
MEMORIES
OF LAST WEEK
(29 juillet 2009, pendant
le voyage en Cornouailles)
«
See you on next Monday ! » C'est avec ces mots que, sur
le chemin de Redruth, j'avais quitté ce brave homme travaillant
dans sa caravane-snack au bord de la route, alternant cuisine, debout
devant sa plaque chauffante, et lecture, assis sur son tabouret.
Je prévoyais en effet de parcourir cet itinéraire
en sens inverse une semaine plus tard exactement, et je lui promettais
de m'arrêter alors de nouveau devant son improbable comptoir
mi-routier mi-campagnard. Mais à cause de cette crevaison
à Exeter, le sort a légèrement modifié
mon programme : c'est donc finally on Wednesday, soit
neuf jours après notre première rencontre, que je
vais pouvoir m'octroyer cette fameuse halte et ainsi tenir
de ma promesse ce que je peux encore en tenir.
Comme
je le supposais, mon ami est bien présent au « rendez-vous
», sur le même pseudo-parking de gravillons, tel qu'il
me disait y venir et y revenir cinq jours par semaine. Cette fois par contre,
il pleut sérieusement. Sans doute ne s'attendait-il plus
à me revoir, mais c'est avec la joie de retrouver une sympathique
connaissance que je quitte brusquement la chaussée pour venir
arrêter Jeannette tout près de sa caravane. Je ne me
rappelle plus si c'est lui qui a sorti la tête pour s'enquérir
de ce que signifiait ce bruit de cyclomoteur qui venait de se taire
à proximité, ou bien si c'est moi qui me suis empressé
de descendre de ma selle et de surgir devant lui, dans le cadre
rectangulaire de son paysage pluvieux, vaste visière d'un casque-caravane. Toujours est-il qu'il se souvient
de moi et que nous sommes très contents de nous revoir. Nous
nous remettons donc à bavarder. À l'abri de la pluie
sous son auvent, et après lui avoir de nouveau passé
ma petite commande, je lui raconte mon séjour cornouaillais
dans ses grandes lignes, mon coup de coeur pour le Dartmoor National
Park, ainsi que ma mésaventure à
l'origine de ce retard de quarante-huit heures.
Me
voyant trempé et un peu frigorifié, il m'invite avec
la plus grande gentillesse à monter à bord de sa caravane
pour que, à défaut de pouvoir véritablement
sécher, je puisse au moins me réchauffer un peu devant
la modeste plaque chauffante qui lui sert à sa cuisine. C'est
vraiment une délicate attention même si, à cause
de ce bien-être imprévu et nécessairement éphémère
auquel mon corps ne s'attendait pas, il me sera d'autant plus difficile,
tout à l'heure, d'avoir le courage de repartir dans l'humidité
et le froid. Parfois, on se dit qu'il vaut mieux demeurer dans une
situation inconfortable plutôt que de s'en extraire brièvement
et d'avoir à y revenir, toujours trop tôt, toujours
trop vite. Inversement, plutôt que de demeurer longtemps dans
une situation confortable, on appréciera de la quitter parfois
délibérément pour un inconfort provisoire,
tout simplement afin d'apprécier d'autant plus le plaisir
de retrouver cet agrément-là. (Ah, le bonheur
de se réveiller au milieu de la nuit et de lire sur notre
montre que l'on peut se rendormir pour plusieurs heures encore !)
C'est
ici, aux côtés de mon ami, que je savourerai grandement
le burger qu'il m'a concocté et la boisson qui l'accompagne.
Un menu des plus classiques, bien sûr, et qui en temps normal
ne m'aurait guère transcendé, mais qui dans ce contexte
précis se révèle absolument succulent. Je fais
comprendre à mon hôte à quel point ce moment,
grâce à ce repas et à ce chauffage atypique,
m'emplit d'un délicieux et providentiel bien-être,
me recharge en énergie physique, en satisfaction d'être
là et d'accomplir ce que j'accomplis, en espoir pour la suite. C'est
ainsi que, par la parole comme dans le non-dit, je l'assure de toute
ma gratitude pour la nourriture immatérielle et la chaleur
symbolique de son accueil.
Il
va de soi que je serais volontiers resté ici plus longtemps,
dans ce cocon sur roues, devant cette plaque chauffante qui me jette
à la figure des calories miraculeuses, mais le devoir m'appelle.
La route, la carte et la montre me ramènent à mes
obligations. J'ai déjà manqué mon ferry avant-hier,
il ne faudrait pas que je le manque ce soir. Je suis certes en avance,
mais qui sait ce qui pourrait encore m'arriver au cours des 180
kilomètres qui me séparent encore du port ?
En
couvrant donc ce brave homme des mille remerciements qu'il mérite,
je ressors de sa cahute chaleureuse pour retrouver Jeannette. Je
l'enfourche, la démarre, et après un dernier regard
prolongé lancé à ce Monsieur-voyage-de-noces-à-Paris,
un de ces personnages simples et bons comme on ne peut que les aimer, je me remets
en route sans m'abstenir de lancer à son attention de petits
coups de klaxon amicaux.
Lorsque,
deux cents mètres plus loin, je me retourne, quelle n'est
pas ma surprise de voir qu'à son tour, il est descendu de sa
caravane, négligeant la pluie, et s'est rapproché
du bord
de la chaussée afin que je puisse continuer à
le distinguer dans mon rétroviseur, dans mon dos, avant que
n'arrive le
prochain virage. Cette dernière image qu'il m'offre de lui,
debout au bord de la route, bravant les gouttes, me regardant m'éloigner et m'adressant
de grands gestes d'au revoir, cette image-là m'émeut.
-->
Retour
à la narration (Portsmouth - Redruth, Cornouailles 2009)
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